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Le geste de
réécrire une oeuvre célèbre, une oeuvre qui fait partie du patrimoine
artistique, que beaucoup connaissent et apprécient peut s’avérer intimidant,
vertigineux. C’est là qu’un pas de côté est nécessaire, un léger déplacement
pour voir les choses sous un autre angle, plus personnel, neuf. Prendre du
recul pour saisir l’ensemble, puis s’approcher doucement, en ajoutant d’autres
motifs, d’autres teintes. Le dessin restera inchangé, mais en revanche, les
couleurs et leur intensité seront très différentes ;
elles seront vivifiées, atténuées, mélangées, troublées sans scrupule aucun. Le
cadre est fixé, il ne tient qu'aux artistes de décider comment le remplir. Et
de s’autoriser à en sortir, peut-être, mais en ayant toujours en tête le cadre
premier, l’original. Une source magnifique à laquelle ils pourront s’abreuver
pour se désaltérer, mais jamais s’y reposer. Il faudra recréer, remuer les
branches tout en protégeant les racines. L'irrévérence, la liberté d’écrire
autrement, d’ajouter de la malice, de l’humour, et assumer la subjectivité de
son regard, pour rendre au spectateur cette oeuvre qu’il reconnaît mais qu’il
va redécouvrir, comme une personne qui revient après un long voyage.
Les artistes
conserveront la simplicité de l’intrigue, l’approche faussement naïve que l’on
retrouve traditionnellement dans les contes. Tout en apportant inévitablement leur
subjectivité, leur modernisme et les expressions artistiques qui les
caractérisent aujourd’hui, qu’ils soient langagiers, musicaux, visuels ou
sonores. La plupart des textes resteront probablement écrits en rime, pour
souligner la musicalité, l’envoûtement. Mais les rimes pourront aussi être
“cassées”, dans un objectif de déstabilisation orale, pour saisir l’auditeur,
le surprendre. Sans toutefois oublier l’aspect narratif, l’accent sera mis sur
les dialogues, pour théâtraliser l’histoire, rendre les événements plus vivants,
plus directs et présents. “Emprunter”. Le verbe est tout à fait à propos. Car
il ne s’agit là que d’un emprunt, qui finalement sera rendu. Rendu, mais
changé. Ils garderont les mêmes personnages, tout en modifiant leurs moyens
d’expressions, par le truchement de mots nouveaux, de notes nouvelles et d’une
mise en scène originale. Le Diable sera sans doute plus diabolique encore, et
la violence de ses manoeuvres s’en trouvera certainement exacerbée. Le violon
(qui sera remplacé par une guitare électrique), symbolisera la musique. La
musique comme un bien plus que précieux, un bien inestimable qui fait danser
les corps et les âmes, qui pénètre les coeurs, émerveille l’esprit. La musique
qui fait la vie plus vivante et qui vient à bout du Diable lui-même ! Mais le
besoin irrépressible de tout avoir, ce qu’il avait et ce qu'il a, va rebattre
les cartes et risque de précipiter l’inéluctable fin de notre soldat…
La musique
dans ce conte est un personnage à part entière. La réécriture est un chalenge
passionnant car il s’agit d’être inventif et créatif tout en respectant un
cadre. Comme un peintre qui a la contrainte de représenter le même sujet mais
toujours avec des techniques ou des couleurs différentes. L’oeuvre de Stravinsky développe plusieurs
tableaux à l’aide de mouvements populaires très identifiés : la valse, le
tango, le choral, la marche ou encore le pasodoble. La réécriture sera
influencée par ces structures. Elles retranscriront l’énergie de ces différents mouvements dans une écriture contemporaine
inventive, tout en utilisant un mélange d’instruments électroniques (claviers
analogiques et modulaires, laptop, guitare électrique) et acoustiques
(batterie, trompette, trombone, tuba). La direction sensorielle, émotionnelle
et entrainante de la musique sera orientée par l’écriture et la
réinterprétation de l’oeuvre par Hugo Zermati. En s’appropriant cette histoire,
en la décalant, en la transgressant, ce sera une version augmentée d’imaginaire,
de mouvements, d’émotions et de surprises. Les artistes ont travaillé sur
l’écriture en avançant pas à pas vers leur version de l’oeuvre pour livrer au
public un spectacle original et audacieux, qui ne le laissera pas indifférent et lui permettra de (re)découvrir L’Histoire du
Soldat.
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